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Julien Creuzet expose « Oh téléphone, oracle noir (…) » à Grenoble avant la Biennale de Venise

La désignation de Julien Creuzet pour représenter la France à la Biennale de Venise était venue bousculer le calendrier du Magasin − Centre national d’art contemporain (CNAC) de Grenoble, où une exposition était en préparation. Pour unir leurs forces de travail et de réflexion, l’exposition grenobloise et le pavillon français se sont donc dotés du même duo de commissaires, Céline Kopp, la directrice du CNAC, et Cindy Sissokho, en poste à Londres, et le projet grenoblois s’est mué en une sélection d’œuvres inédites, sur quelque 2 000 mètres carrés, pour mettre en lumière le chemin parcouru par l’artiste, dans toute sa cohérence, depuis 2015, en prélude à Venise.
Si l’on connaît de Julien Creuzet surtout ses sculptures, cet état des lieux met davantage en avant la pratique vidéo de l’artiste, qui révèle le cœur de son univers, à la croisée des sonorités et des temporalités. Oh téléphone, oracle noir (…), une vidéo aussi ancienne qu’atypique de 2015 qui donne son nom à l’exposition, est aussi le début d’un poème, comme les titres de la majorité de ses pièces. On y voit l’artiste dans le noir, seulement éclairé par l’écran de son portable, auquel il s’adresse comme s’il s’agissait d’une pierre d’obsidienne, pierre-miroir noire associée à des pouvoirs divinatoires depuis la nuit des temps. Dans la solitude de l’hyperconnectivité, il chante et danse en recherchant une connection spirituelle.
Certaines vidéos sont des collages ou entrelacs numériques réalisés à partir d’images d’archives, comme l’hypnotique Mon corps carcasse (…) (2019), aux rythmes afro-pop, où défilent des objets animés et des symboles qui convoquent l’empoisonnement des sols, des rivières et des corps du fait de l’usage du chlordécone, un pesticide longtemps utilisé en Martinique et en Guadeloupe pour la culture de la banane, alors même que son usage était interdit dans l’Hexagone. Ou Ogun, Ogoun, ou Ogou, ou Gou, mon Dragon (2020), un conte mélancolique à l’esthétique cosmique dans le sillage d’un « chyen fé » (« chien fer »), endémique en Martinique, dont le nom, Ogun, est celui de la divinité du feu et du métal dans le panthéon yoruba.
Dans les autres vidéos, strictement en images de synthèse et animation 3D, et en cela plus oniriques encore, un personnage récurrent apparaît comme une sorte d’alter ego de l’artiste. C’est en 2021 que surgit pour la première fois cette silhouette silencieuse et transparente, dans une vidéo montrée à l’occasion du prix Duchamp 2021. On y voit ce corps habité par des obsessions (du rhum, des cigarettes, des écouteurs…), qui présente, en les sortant de sa tête un à un, les ouvrages d’une bibliographie panafricaine idéale. On retrouve ce même schéma initiatique dans Crossroads (2022), où le personnage, qui transporte en lui cette fois des épaves de bateaux et des virus, apprend à danser le bèlè, héritage des traditions musicales des peuples esclavagisés de Martinique.
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